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Ouija - 06-11-2021  - 10_edited_edited_e

 

Le Ouija a mauvaise réputation dans le cercle des chasseurs de fantômes, tant cela peut être dangereux. Moi, je n’y crois pas, mais je compte bien faire face à tous les phénomènes qui vont se dérouler sur cette table.

 

Tout commence au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Morgan, Ilona et Flavie prient. Je trouve la démarche un peu ridicule. Mais c’est le rituel. Et pourtant, j’ai choisi de me prêter à l’expérience. Au cours de la session, les filles rencontrent 8 personnes. Elles sont décédées dans cette cave. Mon scepticisme me force à ne croire en rien à ce qu’il se passe ici. Je suis agrippé à mon stylo, prêt à noter chaque réaction. Elles ont l’air déjà bien impressionnées. La séance se passe comme-ceci : les participants posent leur doigt droit sur la goutte (un réceptacle sous forme de flèche, qui indique les lettres et les chiffres). Sur le plateau sont inscrits « Yes », « No », et l’alphabet. Il est préférable de faire ça la nuit. Pour débuter, il faut tourner trois fois le réceptacle dans le sens des aiguilles d’une montre pour vérifier que le mécanisme marche. Il suffit ensuite de dire « Bonsoir, je suis venu avec des camarades à moi et nous souhaitons vous parler. Si vous êtes là, bouger la goutte qu’il y a sur la table », comme l’a fait Flavie. Même si cela peut durer longtemps pour avoir une réaction, il faut miser sur sa patience. « Quelque chose dort-il ici ? » continue-t-elle. Il fait très froid au sous-sol, mon souffle crée une légère fumée. Les participantes sont peut-être un peu plus réchauffées près des bougies.

Les silences durent. Je n’arrête pas de fixer les bougies. C’est la seule source lumineuse dans la pièce et mes yeux ne s’en détachent pas. Je crois que ces bougies ont quelque chose de très apaisant. Parfois, je me retourne furtivement. J’ai un peu peur je l’avoues. Après bien des minutes, la goutte bouge. Ceux avec qui nous parlons nous épellent des lettres : « R-W-F-Y-U ». Ilona se répète les lettres pour être sûre de les retenir. Une voyelle, 4 consonnes. Pas de quoi faire un mot. C’est étrange comme Flavie change d’état. Elle a froid, elle a chaud. À un moment, elle ne sentait même plus rien. Je persiste à croire que ce sont ses émotions qui prennent le pas sur sa température corporelle. Bref, pour elle, c’est une preuve que les esprits sont là. Pour moi, il ne faut pas encore faire ses conclusions. 

Durant toute la session, nos sens cohabitent avec le silence. En même temps, nous sommes concentrés sur les « micro-bruits » qui font que la pièce devient vite assourdissante. Le plus dur est de rester concentré sur chaque sensation ; une bougie qui s’emballerait, une odeur, un craquement, un vent frais. J’ai mal au dos et le frigo cassé sur lequel je suis assis commence à me donner des crampes. La meneuse du Ouija ne ressent plus rien. « Ils » sont partis.

 

Les croyances de tous

Depuis le début, nous savions qu’il fallait côtoyer ce monde. Pour préparer un bon ouija, nous sommes obligés de se laisser aller mentalement, que la table soit stable, qu’il y ait des bougies, de l’encens pour les plus précautionneux ou de la vigilance pour ceux qui ne se protègent pas. La cave, endroit intimiste et silencieux, est l’endroit le plus adéquat pour entrer en contact avec l’au-delà. Mais elle est très sale, poussiéreuse. Des anciens vêtements traînent à côté de la table. Nous n’y voyons rien mais pour Justine, notre photo journaliste, ce n’est pas un problème. Son flash fait l’affaire. Après les avoir vu, nous aurions dit que les photos étaient prises en plein jour.

Les bougies crépitent, nous ne savons pas si ce sont les égouttures du plafond qui tombent sur les bougies ou si un esprit joue avec. Flavie se dévoue pour être la meneuse de la 2ème partie. Elle aurait des capacités à mieux ressentir la présence des morts. Elle tient cette sensibilité de sa mère, considérée comme une personne connectée à l’autre monde. En tout cas, c’est ce que lui a dit une voyante. À côté, Morgan est peu rassurée. Pour ce qui est de l’existence des fantômes, elle y croit mais est prête à encore se poser des questions. Avant de commencer, elle préfère se protéger en priant. C’est un sujet sur lequel elle ne plaisante pas. Borné dans mon athéisme, je ne rate pas une occasion de lui dire que ça ne sert pas à grand chose. Mais ce coup-là, il faut laisser tomber sa condescendance et respecter les croyances de tous. Sans ça, l’enquête n’est pas. Ilona en face de Flavie a fait 3 années de psychologie. Elle lit des livres d’étude sur l’ésotérisme et s’intéresse aux questions de croyances au paranormal. Prête à participer à l’expérience, elle s’assure que la goutte qui se déplace sur la table n’est pas poussée par une de nos mains.

Les évènements commencent. Bien après cette soirée, j’ai entendu des sons dans mes enregistrements. L’origine est encore inconnu. Je devrais peut-être les faire écouter à des pros. Ce n’est pas possible pour moi qu’il y ait des interférences à ce point.

 

« Z-E-Y-E »

Notre première expérience n’a pas donné de résultats valables. Bien qu’elle servait plus d’approche, nous souhaitions du concret. Nous reprenons à la deuxième session. Cette fois, je m’intègre au quatuor de participants. Comme je l’ai appris au fil de mes observations, je ne force pas trop sur mon doigt pour que la goutte puisse bouger. Je la frôle simplement. Bientôt, je me mettrai à poser des questions aux morts qui reviennent et auxquels je ne crois pas. Morgan, Flavie, Ilona et moi tombons sur des profils d’esprits variés. Nous parlons même anglais, au cas où. La goutte bouge, mais cette fois-ci dans la minute où nous posons la question. Nous passons par une petite fille décédée il y a des années. Elle nous indique que c’était en 39-45, mais après, plus rien. Bien sûr, ces histoires nous touchent tous. En discutant avec cette petite fille, c’est ma propre sensibilité que j’interroge. Que puis-je faire ? Que dois-je faire pour elle ? Un autre homme veut parler. Il a honte, du moins c’est ce qu’il dit. Il s’est suicidé et voudrait dire pardon à son entourage pour toute la tristesse infligée. À cet instant, nous sommes son confessionnal. 

La troisième personne à qui nous parlons est plutôt une chose. Cette chose priverait les autres dizaines de personnes de parler. Sur la table de Ouija, elle indique son nom, « Z-E-Y-E ». Alors que la salle était déjà fraîche, l’ambiance s’est elle aussi refroidie. Selon les règles du Ouija, quand un démon ou un esprit veut s’échapper de la planche, il n’a qu’à faire glisser la goutte du Z au A. C’est ce qu’il se passe, quand nous essayons d’en savoir plus au sujet de Zeye. Flavie le reprend plusieurs fois, « Arrêtez tout de suite, s’il vous plaît ».

Quand la tension redescend, des hurlements de dispute éclatent au plafond. La première pensée qui me vient est celle d’un féminicide qui est en train de se commettre au-dessus de nos têtes. Il n’en est rien. Seulement un désaccord entre locataires de l’immeuble. Le stress du Ouija m’est monté un peu à la tête. Je me lève brusquement sans demander pardon aux esprits, d’un souffle j’étaient les bougies, pensant que quelqu’un nous trouverait ici. Et croyez-moi, je ne veux que personne me voit en pleine séance de ouija. 

J’ai compris aussi que je devrai redoubler d’effort et de discernement pour les autres expériences que nous mènerons. J’ai su ensuite que cette expérience était menée pour un seul but précis : tester nos propres limites. Nous nous sommes transformés en rats de laboratoire en l’espace de deux heures pour savoir qui craquera le premier. Ce fut moi, sous la pression des évènements réels plus que les cas paranormaux. Petite morale pavée de niaiserie mais qui me servira pour l’enquête : d’abord apprendre à ne pas avoir peur de la vie avant d’avoir peur des mort.

Noé Davenas

Photo : Justine Hubert

L’oeil de Zeye : Ouija et discussions d’outre-tombe

Noé Davenas
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